samedi, août 15, 1992

Les bronzés de Barcelone

En débarquant à Barcelone, l'équipe de France ne faisait pas encore peur. Mais, fidèles à leur caractère et leurs personnages, les futurs Bronzés n'ont eu peur de personne, Frédéric Volle en tête...


« Nous sommes arrivés aux JO remontés comme des pendules. C'était une équipe à forts tempéraments avec des mecs qui avaient de grosses c.... On n'a eu peur de personne (rire). On ne s'est pas démonté et ça a marché. Ces JO restent mon plus grand souvenir, plus que le titre de champion du monde car il y avait tout : c'était ma première compétition olympique et on ramène une médaille. Et les JO, c'est la fête, le feu d'artifice. Rien que la cérémonie d'ouverture où tu te retrouves au milieu de 12 000 athlètes ! Puis, dans le village olympique, tu croises des stars. Cette année-là, il y avait la Dream Team du basket. Barkley nous regardait jouer à la pétanque avec Stock et il ne comprenait pas ce qu'on était en train de faire (rire).



On s'était rasé la tête, peint les cheveux en blond et on s'était tatoués (rire). On l'avait fait à l'unisson. On s'était dit, avant les JO, que si on faisait mieux que septième - l'objectif de la fédéra­tion -, on se rasait. Pour faire des conneries, on était toujours les premiers. »


mardi, août 11, 1992

Y a d'la joie !

De bons résultats en cascade pour nos sportifs engagés aux JO de Barcelone, félicitons particulièrement la joyeuse bande de blondinets de Daniel Costantini.

Une victoire musclée

Le tournoi olympique de handball a été remporté par la CEI devant la Suède (22-20).

La France a pris la troisième place en s'imposant face à l'Islande (24-20).

Ils venaient pour participer, pour démontrer que leur sélection olympique n'était pas un coup du sort. De Barcelone, les handballeurs français rapportent le bronze. Ils voulaient prouver qu'ils n'étaient pas de fragiles petits poucets. Les voici auréolés d'une solide réputation de bagarreurs dont il faudra se méfier au niveau international. La bande entraînée par Daniel Costantini l'a une dernière fois montré, samedi 8 août, en remportant, dans un match pour la troisième place du tournoi, une victoire musclée (24-20) face aux Islandais, les invités-surprises qui remplaçaient les Yougoslaves bannis par l'embargo.

Sur le terrain transformé en cour de récréation, les deux bandes rivales se sont livrées à une bagarre hachée par des penalties et des expulsions. Hargneux et fébriles, les Islandais ont rapidement plié devant les Bleus plus agressifs que combatifs. Quand la sonnerie de la fin du match a retenti, les joueurs français, redevenus des enfants sages, se sont jetés dans les bras de leur entraîneur, ravis d'avoir offert la victoire à celui qui les avait sortis de l'ombre pour les conduire, en sept ans, dans l'élite des douze premières équipes mondiales.

Et maintenant ? Dans six mois aura lieu en Suède le prochain mondial de handball. Alors, il ne s'agira plus de se battre pour se maintenir, mais pour gagner d'autres médailles. Les Français rêvent de voir leurs prouesses davantage diffusées à la télévision à des heures de grande audience. Ils n'en finissent pas de remercier ces Jeux, qui ont contribué à rendre leur sport plus populaire, à condition de faire le spectacle. Venus montrer leur force, Denis Lathoud, Frédéric Volle et les autres ont encore à confirmer l'étendue de leur talent.

Mathieu Bénédicte. - Le Monde, édition du 11 août 1992

lundi, août 10, 1992

Point final d'exclamation

Quand ils battent l’Islande 24-20 et terminent à la troisième place du tournoi, les Bleus restent eux-mêmes imprévisibles, enthousiastes, un peu cinglés et brillants A l’image de Thiebaut, fantastique gardien

CE n’est pas la finale des perdants. Ce n’est pas un lot de consolation. La rencontre de samedi dans le grand et beau palais des sports San Jordi a pour enjeu la médaille de bronze du tournoi olympique de handball. Les deux équipes la veulent. L’Islande pour éviter la quatrième place, la pire, et pour se hisser à nouveau dans l’élite mondiale de la petite balle. La France pour terminer en beauté l’aventure d’un groupe arrivé ici dans l’indifférence générale, bousculant tous les pronostics, frôlant la finale, plaisant autant par son jeu sur le terrain que par sa façon d’être en dehors du terrain, un peu cinglée, totalement cinglée même si l’on en croit leur entraîneur Daniel Costantini.

Elle est d’ailleurs étrange cette relation entre Costantini et ces seize garçons. A quatre minutes de la fin, il ne leur dit plus rien, reste dans son coin, histoire de bien leur montrer qu’il n’apprécie pas ce qui se passe. Non, il déteste voir les Bleus se mettre à jouer au fun-ball, genre facéties, passes dans le dos, trucs impossibles, gris-gris, et tout ça pour permettre à l’Islande de revenir à 23-20 alors que la France a compté jusqu’à sept buts d’avance. Costantini appelle ça « des moments de folie furieuse que rien ne justifie ». Il cartonne ses joueurs et les adore dans la seconde qui suit : « J’ai une équipe extraordinaire au sens littéral du terme. Je n’aime pas qu’on en rajoute quand un match est gagné, mais si c’est comme ça qu’ils voient les choses, je ne peux que m’incliner. ».

A 81 secondes de la fin, c’est plus fort que lui, il se lève, parce que, si l’Islandais lancé en contre-attaque marque, l’écart se réduira à deux buts, et tout peut être remis en cause. Costantini compte sur Thiebaut, le gardien français, et Thiebaut réussit l’impossible, une parade qui repousse un tir à bout portant. Cette fois, c’est fait. Le tableau d’affichage final indique 24 pour la France et 20 pour l’Islande. Médaille en poche. La joie est énorme. Les seize se lancent dans un tour d’honneur qui les fait rire et pleurer. Le public est debout, les ovationne tous, mais scande un seul prénom : « Jean-Luc ! Jean-Luc ! ».

C’est Jean-Luc Thiebaut, le dernier rempart français, l’un des meilleurs gardiens de ce tournoi. Ses prouesses ont étonné, épaté, enthousiasmé. Le joueur de l’US Ivry est de ceux qui ont tout connu avec cette équipe, les galères épouvantables comme les moments de bonheur. Confidences du gardien, à chaud après le match.

Sur les raisons de son tournoi exceptionnel. « C’est la question que je me pose le plus, et à laquelle je n’arrive pas à répondre. J’ai trente-deux ans, je commence à avoir de plus en plus de petits bobos, je récupère moins vite, et, là, pendant quinze jours, tout a marché à merveille. Je ne comprends pas. J’en arrive même à penser que c’est peut-être le peu de matches et d’entraînements que j’ai eus à la suite d’une blessure qui m’ont permis d’être au point physiquement, d’avoir du jus. » Sur cette médaille de bronze. « J’y penserai sûrement tout le reste de ma vie, sans doute parce que ça n’a jamais été un rêve pour moi de venir aux jeux Olympiques. Si on dit que c’est la plus belle des médailles françaises, c’est peut-être parce que c’était la plus inespérée. Avant les Jeux, j’avais lu qu’on ne figurait nulle part dans les vingt à quarante possibilités de médailles. Mais on s’est arraché, on a eu du coeur, et les gens nous ont découverts et appréciés pour ça. On a joué des matches très très durs, on a prouvé qu’on était capables de tenir tête aux meilleurs mondiaux, et il n’aurait pas été moral qu’on perde ce match pour la troisième place. ».

Sur l’avenir de cette équipe. « J’espère qu’on va confirmer dès l’an prochain. Mais il ne faut pas oublier qu’on est dans une poule difficile, qu’on va retrouver la CEI et la Suède, qui sont les finalistes olympiques. En 93, l’ossature de l’équipe devrait être la même. Ce sera plus difficile après, quand huit joueurs au moins vont décrocher. L’incertitude est aussi de savoir ce que va faire Daniel Costantini. On dit que c’est le magicien. Lui ramène tout à nous en disant qu’on l’a émerveillé, qu’on a fait des choses extraordinaires sans qu’il ait eu besoin d’intervenir. Mais c’est vrai qu’il a réussi à faire de nous des grands du handball ».

Sur la possibilité d’un effet hand en France. « Je n’en sais rien du tout. J’ai l’impression qu’il en existe un actuellement, mais on est trop loin pour s’en rendre compte. En 89, on a voulu créer un effet hand et ça n’a pas du tout marché. En 90, on a essayé de nouveau pendant la qualification pour les Jeux et ça n’a pas marché non plus. Alors cette fois je ne sais plus. Je ne sais pas si dans quinze jours, quand le championnat va recommencer, on parlera encore de nous. ».

Sur ses réactions quand son nom a été scandé par le public. « C’est vrai que c’est extraordinaire, mais je mets beaucoup ça sur le compte de la chance. ».

Sur son avenir. « Je continue jusqu’en 93 et après j’arrête. J’ai des enfants qui grandissent et j’ai envie de les voir, de m’amuser avec eux. Eux aussi. ».

De l’un de nos envoyés spéciaux Gilles Smadja

Article paru dans l'Humanité édition du 10 août 1992.

dimanche, août 09, 1992

Interview vidéo des bronzés

Vous pouvez visionner l'interview de Fred Volle entouré de quelques Bronzés de Barcelone sur le site de l'INA ou en profiter ici même si vous avez installé quicktime.










samedi, août 08, 1992

On était des outsiders

L'équipe de France de handball a été battue 25-22 par celle de Suède, jeudi soir 6 août, en demi-finales du tournoi olympique. Elle sera opposée, pour la médaille de bronze, samedi 8 août, à l'Islande, vaincue par l'équipe de la CEI 23-19. La finale se disputera entre le champion olympique 1988, la CEI, et le champion du monde en titre, la Suède.


Le rêve avait déjà beaucoup duré. Et puis la Suède, c'était " un gros morceau ". Chacun était donc d'accord pour reconnaître que les géants blonds étaient véritablement les plus forts. La France n'avait plus qu'à s'incliner dignement. Elle le fit avec tout de même un espoir rentré qui a eu du mal à passer. Quelques costauds ont fondu en larmes dans les vestiaires. Daniel Costantini, l'entraîneur national, a tenté de leur redonner le moral, de leur dire que tout n'était pas fini, qu'il y avait encore une médaille à conquérir et que " ce bronze était tellement inespéré en venant ici, qu'il était prêt à lui mettre une couche de doré pour que ça brille autant que celle du champion olympique. "

Il n'empêche. Les joueurs l'avaient secrètement espérée, cette victoire. Ils l'ont presque entrevue quand à une minute et demie de la fin du match, alors qu'il n'y avait qu'un point d'écart en faveur de la Suède, le but d'égalisation est venu s'écraser à quelques centimètres du cadre adverse. Après le " coup de sang " qui venait de leur permettre de combler un handicap de cinq points, la chance avait tourné. La perspective de monter sur l'une des deux plus hautes marches du podium s'évanouissait dans une fin cafouilleuse.

Il fallut bien l'admettre, la France n'était pas dans un très grand jour. Daniel Costantini était le premier à en convenir : " La sauce n'a jamais pris. " Et après cinq matches la fatigue commençait à se faire sentir. Du coup, les Suédois ont eu l'avantage au score pendant pratiquement toute la partie. Ils ont laissé les Français venir se casser le nez sur une défense solide exploitant immédiatement la moindre faute. Fautes trop nombreuses en raison d'une tactique risquée.

La prime d'arbitrage

Pourtant les hommes de Bengt Johansson sont loin d'avoir convaincu au cours de cette partie rugueuse, intense, heurtée. L'entraîneur suédois n'a pas hésité à le reconnaître. Il n'était pas satisfait de leur prestation, pas du tout " excitante ", pas assez technique à son goût. Celui qui, depuis 1988, a façonné ces champions du monde a rédigé un ouvrage technique de trente pages sur le handball dont son équipe a seulement " utilisé une seule page ".

Philosophe, Daniel Costantini estimait qu'" il nous manquait encore de sortir grandi d'une défaite ". L'enjeu était d'importance pour l'avenir. " Je ne dirai pas que les arbitres ont été malhonnêtes. Ils ont été très sévères avec le petit poucet que nous sommes, a tenu à faire savoir l'entraîneur. Et si les arbitres font leur travail, c'est toujours avec cette forme d'honnêteté qui sied à la Fédération internationale. " Pour Daniel Costantini, l'équipe de France a joué les trouble-fêtes dans le concert des grands du handball mondial. Cela n'arrangerait pas tellement les affaires de la Fédération internationale qui préfère les valeurs établies. Lors d'un match comme France-Suède, les juges ont ainsi tendance à donner l'avantage à l'équipe présumée la plus forte.

D'après l'artisan du renouveau du jeu français, " les Suédois n'ont pas toujours été sanctionnés comme, ils auraient dû l'être ". Une prime au favori en quelque sorte. Mauvais perdants, les Français ? Pas vraiment. Gros bras de l'équipe nationale, Denis Lathoud eut ce cri du cœur : " On était des outsiders. Ils ont prouvé qu'ils étaient meilleurs que nous, alors je dis bravo et bonne chance ! "

Bole Richard Michel. - Le Monde, édition du 8 août 1992

jeudi, août 06, 1992

Faites-vous plaisir !

C’est l’histoire d’un groupe qui ne devait pas être là, qui bouscule les schémas établis, et qui propulse l’événement sportif au-delà de lui-même. L’aventure continue ce soir

Au début, ça ressemble à un vrai mystère. Voilà seize sportifs français qui, en dix jours, passent du rang d’inconnus totaux du grand public à celui de vedettes internationales avec photos quadrichromie et noms en gros caractères dans tous les journaux. Voilà toute la France prête à vibrer ce soir pour une équipe en bleu dans un sport qui, le reste du temps, a droit aux miettes médiatiques. Voilà un engouement autour d’une demi-finale olympique de handball qui n’est pas loin d’atteindre les taux de passion pour un autre ballon rond, plus gros et plus vorace.

A plus d’un titre, le France-Suède de ce soir fait partie de ces événements qui propulsent le sport au-delà de lui-même. L’aventure d’abord. Dans une société où les rôles sont si souvent distribués à l’avance, l’aventure plaît quand elle raconte une histoire humaine, inattendue et imprévue. La logique de la performance - ce mot si souvent vénéré - aurait voulu que cette équipe perde. Schéma bousculé. Dans un monde où l’individualisme forcené tient la plus haute marche du podium des valeurs, l’aventure plaît encore plus quand elle est celle d’un sport collectif, d’un groupe qui ne jure que par les mots amitié et solidarité, d’une équipe composée de seize personnalités bien affirmées, quelques coqueluches, mais aucune vedette qui roule des mécaniques.

Son plaisir de jouer fait plaisir à voir, et en plus, même si l’on devine que ces grands garçons ne sont pas des smicards, on sait très bien que la place de l’argent dans ce sport est à des années-lumière de ce qu’il atteint dans le foot ou le tennis. Par cette somme de rencontres éthiques, le parcours de cette équipe de France cristallise bien des antidérapages. Avec l’avantage de la mémoire. Oui, oui, la mémoire. Car lequel d’entre nous, dans la cour goudronnée du collège ou du lycée, du gymnase quand il y en avait un, n’a pas appris à lever les bras quand ceux d’en face attaquent, à éviter de dribbler deux fois de suite, à ne pas faire de passe à son gardien, à ne pas faire plus de trois pas balle en main sous peine de « marcher », et, pour les plus assidus des clubs ASSU, à tirer en extension pour s’ouvrir des angles.

Victime d’avoir été enfermé dans les enceintes scolaires et universitaires, le hand a pour lui cet atout de la mémoire, et les premières victoires de l’équipe de France ont déclenché dans des millions de têtes un magnétoscope qui a tout remis en place : les règles, les réflexes, les tactiques de jeu, les bons coups et les moments où l’on vibre. Ce soir en sera rempli. Quand tout se joue sur un match, les calculs de boutiquier n’ont plus de place. Le groupe entraîné par Daniel Costantini n’a aucune raison de ne pas rechercher d’abord ce plaisir de jouer qui lui a si souvent réussi depuis le début du tournoi. L’adversaire est certes redoutable. Les grands blonds de Suède sont champions du monde en titre, et pas le genre à badiner à ce niveau de la compétition. On voit mal alors qui en voudrait à l’équipe de France de ne pas gagner son passeport pour la finale de samedi. Ce pardon acquis d’avance est peut-être son meilleur atout.

De l’un de nos envoyés spéciaux à Barcelone Gilles Smadja

Article paru dans l'Humanité édition du 6 août 1992.

Je n'ai pas prévu ce que nous vivons ici

un entretien avec Daniel Costantini

Pour leur première participation aux Jeux olympiques, les handballeurs français se sont qualifiés pour les demi-finales. Ils disputeront leur prochain match jeudi 6 août, contre la Suède, championne du monde en titre. Ce résultat est dû en grande partie au travail de Daniel Costantini, quarante-neuf ans, entraîneur national depuis 1985, qui, avant le début du tournoi, pensait que ses joueurs se classeraient au mieux septièmes ou huitièmes. " Comment l'équipe de France, naguère très effacée dans les rencontres internationales, se retrouve-t-elle parmi les quatre meilleures du monde à l'issue de ce tournoi olympique ? _ C'est très difficilement explicable parce qu'être déjà septième ou huitième était un pronostic raisonnable mais raisonnablement haut, parce qu'il fallait tout de même battre la Roumanie, au troisième rang mondial, ou l'Allemagne, ou l'Espagne en plus de l'Egypte. Etre sixième, c'était encore plus osé puisqu'il fallait battre deux de ces équipes que d'habitude nous ne battons jamais. Et puis là, à part la CEI qui a gagné d'un seul but d'avance, à la dernière minute, parce qu'on leur a fait un cadeau, on a battu tout le monde. " Pour un entraîneur comme moi, qui est un pragmatique croyant aux progressions lentes, aux gains de dixième de seconde, c'est inexplicable rationnellement parlant. Mon équipe est en train de franchir un pas incroyable au plan collectif mais surtout au niveau individuel. _ Cependant, il y a tout de même des motifs à ce succès ? _ Il y a bien sûr l'effet olympique. On se retrouve dans un contexte tout à fait différent d'un championnat du monde et des barrières que l'on se donne habituellement ; peut-être que l'on a moins tendance à les respecter parce que ce sont les olympiades, qu'il y a trois médailles à distribuer et que l'on se dit : pourquoi pas ? Mais ce qui me confond le plus, c'est le brio de nos joueurs, leur état d'esprit et surtout leur créativité et leurs performances individuelles. Nos joueurs non seulement se hissent au niveau des meilleurs, mais sont les meilleurs. _ Pourquoi se surpassent-ils ? _ Il y a plusieurs choses qui peuvent être mises en exergue. Nos joueurs ont bénéficié d'une excellente préparation. Nos structures de formation sont bonnes, nos clubs commencent à être performants, mais nous n'avions jamais trouvé dans une compétition internationale le déclic. Est-ce que ce déclic a été le premier match gagné contre l'Espagne, que l'on n'avait pas battue depuis vingt-trois ans ? L'Espagne qui organise les J.O. et qui en plus les disputes à Granollers, le fief du handball espagnol. L'Espagne qui est favorite de la compétition. C'est assez extraordinaire que ce soit chez eux, le jour J, que finalement les Français arrivent à vaincre ce signe indien. Je leur ai donc dit : " Si on est capable de battre l'Espagne, on est capable de battre tous les autres. " _ La France va rencontrer la Suède, championne du monde, en demi-finale... _ On les a battus dans un match amical à Marseille. Lors du challenge Marrane, à Paris, on a fait match nul et ils nous ont battus un mois plus tard au tournoi pré-olympique de Castelnau, de trois buts, lors d'un match équilibré. Mais la Suède ici, c'est tout à fait autre chose. C'est une arme de guerre qui est venu confirmer son titre mondial. N'oublions pas aussi que les Suédois sont organisateurs dans six mois des championnats du monde et qu'ils sont remarquablement préparés. " Pour les battre, il faudrait que l'on accomplisse une performance encore plus grande que ce que l'on a fait jusqu'à présent. Et ce que l'on a fait, cela me paraît déjà tellement énorme que personnellement je ne sais pas si ça va pouvoir continuer. Pour battre ce pays, il faudra être du niveau d'une médaille d'or, et si on est médaille d'or on aura donc joué deux finales, dont une en demi-finale pour prouver au monde entier que l'on est du niveau des champions du monde. Mais j'ai toujours été pessimiste de nature...

Tuer le père _ Quel est le secret de Daniel Costantini ? _ Je n'ai aucun secret. Je suis quelqu'un de très rationnel, de très pragmatique, quelqu'un qui a toujours respecté les filières, qui a tenu à ce que chaque progrès soit justifié. Et puis, tout d'un coup, je me trouve à la tête d'une équipe qui m'emporte dans une aventure. La seule faveur que je m'accorde ici c'est de les laisser agir, c'est-à-dire de ne pas vouloir imposer des méthodes qui étaient les miennes quand on était des besogneux. J'ai maintenant une équipe qui vit sa propre aventure. Elle n'a plus besoin que je lui tienne la main. Ma griffe, si je l'ai imposée, c'était avant. Maintenant, ils sont en train de tuer le père. C'est peut-être un des éléments qui font qu'ils n'ont pas ici de limites. Tout ce que je leur avais demandé, ils le font mais multiplié par dix. _ Et le père accepte de se laisser tuer ? _ C'était un peu un rêve. Quand on se targue d'être pédagogue, professeur d'éducation physique de formation, l'objectif est toujours l'autonomie dans la responsabilité des gens que l'on entraîne. Et c'est vrai que dans le sport on arrive souvent au contraire. A force de préparer les gens à la performance, on finit par les assister et par en faire des jouets dans les mains de l'entraîneur. J'avais encore l'impression, il y a deux ou trois ans, d'être un montreur de marionnettes et là, finalement, je suis peut-être arrivé à ce que je n'espérais pas : constituer une équipe qui vit sa vie selon sa propre nature. Quand l'on dit que gouverner c'est prévoir, je n'ai pas fait un bon acte de gouvernement parce que je n'ai pas du tout prévu ce que nous vivons ici. _ Quelles seront les retombées sur le handball en France ? Est-ce que le même phénomène que celui qui s'est produit avec le hockey après les Jeux d'hiver va se renouveler, c'est-à-dire que tout va retomber comme un soufflé ? _ Ça me paraît impossible qu'un tel investissement, à un moment tellement privilégié, ne soit pas récupéré par la fédération. Il y a tout de même une grande différence avec le hockey qui, lui, était moribond. Sa performance à Albertville n'a pas permis de récupérer un corps vraiment très malade. Au contraire, les clubs de handball sont dans une progression exponentielle. Il ne faudrait pas pour autant tomber dans la folie de l'inflation des salaires. Je voudrais surtout que la fédération se retrousse les manches, fasse œuvre de professionnalisme quant à la récupération d'une telle aventure, parce que si elle n'était pas capable de se positionner maintenant parmi les meilleurs sports collectifs français grâce à cette promotion acquise ici, ce serait rédhibitoire. "

Bole Richard Michel. - Le Monde, l'édition du 06 août 1992

lundi, août 03, 1992

Les copains d'abord

Mais qu’est-ce qui leur arrive à ces inconnus du grand public et du gratin mondial du hand, quasiment assurés de se retrouver dans les quatre premiers du tournoi ? C’est l’aventure d’un groupe, nous dit Denis Lathoud, un homme heureux

ARRET sur image à 90 secondes de la fin du match. A droite, un type en jaune complètement désemparé, déboussolé, groggy. Alexandru Radu cherche un regard chez ses partenaires. Les autres baissent la tête. Un homme triste le paraît dix fois plus quand il est grand. Et le malheur de Radu, à cet instant précis, est de mesurer 2 mètres. A gauche, un type en bleu complètement hilare, euphorique, heureux jusqu’aux larmes. Philippe Gardent vole sur un nuage. En deux visages, tout est dit. La Roumanie a perdu, la France a gagné.

Résumée comme ça, noyée dans la boulimie des compétitions et des résultats, une victoire dans la phase préliminaire du tournoi de handball n’a l’air de rien de plus qu’une victoire. Pas celle d’hier. Et, franchement, pas pour faire dans la cocoricomanie ambiante. Car ce que sont en train de réaliser les Français est peut-être ce qui manquait à ces Jeux. Un petit courant d’air dans une fournaise qui finit par tout rendre un peu lourd et somnolent, une surprise à usage et à message multiples.

Sur le plan sportif, bien sûr. Leur place quasiment assurée dans le dernier carré de l’élite mondiale du handball - à moins d’un invraisemblable retournement de situation - est un exploit authentique du groupe emmené par Daniel Costantini. Et pourtant, le hasard n’est pour rien dans cette dynamique du succès. On regarde jouer les Français et ils jouent merveilleusement bien. Tactiquement, techniquement, physiquement, collectivement.

Surtout collectivement. Leur manière même de jouer, de se parler, de s’encourager, de privilégier le « nous » sur le « je »

Les 26 buts d’hier sont marqués par 9 joueurs différents -, de vivre ensemble sans se tirer dans les pattes par presse interposée - voir les athlètes américains ou les basketteurs espagnols pour comprendre - fait passer un souffle qui se fait rare dans ce monde. En bref, cette équipe nous donne ce que l’on cherche parfois désespérément : l’éthique d’un sport collectif.

C’est vrai qu’on peut toujours citer les prouesses de Thiébaut, l’homme volant dans sa cage ; les remontées fulgurantes de Richardson, crinière rasta au vent ; les contorsions invraisemblables de Gardent à ras du parquet, avec cette impression de planquer ses 183 centimètres ; la puissance des tirs de Lathoud ou les numéros de voltige de Meunier. Mais cette somme de qualités individuelles ne suffit pas à bâtir une équipe. Le plus est ailleurs. Dans un groupe de copains qui croient à certaines valeurs. Message décapant et rassurant quand on en parle avec un garçon comme Denis Lathoud, vingt-six ans, joueur de Vénissieux avant de l’être à Nîmes dès septembre, rencontré dans l’euphorie de la victoire d’hier.

D’abord bravo, Denis. Vous êtes crevés, mais on a tellement envie d’en savoir un peu plus sur cette équipe. Vous avez du temps ?

J’ai toute la vie si vous voulez. C’est extraordinaire, ce qui nous arrive. Un rêve qui continue. On savait que ce quatrième match face aux Roumains serait difficile. Mais eux sont sur la pente descendante, nous sur l’autre, et ça a fait la différence. On les a beaucoup fait courir et on a fini par les user en seconde mi-temps. C’est bien, je ne sais pas quoi dire d’autre, tellement je suis heureux.

On parle déjà d’une aventure française. Ce n’est pas un peu trop tôt ?

Ce que l’on peut déjà dire, c’est que nous sommes la révélation française de ces Jeux. On est même un peu devenus la coqueluche du village olympique. En tout cas, cette fois, ça y est ; à moins d’un retournement de situation, on est en demi-finale, et c’est déjà extraordinaire. Dans cette réussite il n’y a pas de secret. C’est la solidarité du groupe, c’est le fait de travailler ensemble depuis cinq ans, et je peux vous assurer qu’il n’y a jamais eu de problèmes entre les joueurs. Et s’il y en a, ça ne dure jamais plus de deux minutes. Quand on s’entend bien en dehors du terrain, ça a forcément des répercussions sur la façon de jouer. Quand on ne part pas favori dans un tournoi, ce qui était notre cas, c’est la solidarité du groupe qui fait la différence. Sans cela, on n’aurait jamais pu battre les Espagnols chez eux ou les Roumains, qui sont tout de même les troisièmes mondiaux.

C’est la victoire contre l’Espagne qui a été un déclic ?

Peut-être pour la presse, qui nous oublie souvent, mais pas pour nous. On a vécu cette première victoire comme la confirmation de tout le travail effectué, et la continuité des matches gagnés en Tchécoslovaquie et en Hongrie. On voulait montrer aux Français que le handball existe chez nous, et il n’y a pas mieux que les jeux Olympiques pour le prouver.

Vous aimez la comparaison avec l’équipe de France de tennis qui avait remporté la Coupe Davis ?

Oui et non. Oui parce qu’étant lyonnais j’ai vécu ça d’assez près, et j’avais retrouvé cet esprit d’amitié et de solidarité. Mais l’équipe de France de tennis n’a pas poursuivi dans ce sens-là, alors qu’on peut espérer continuer dans la mesure où nous sommes un groupe relativement jeune.

Tout est possible maintenant ?

Ah oui ! tout est possible. On y croit vraiment. Je peux vous dire que même contre la Suède, qui est championne du monde, on ne lâchera pas le morceau, et je vous promets qu’on fera tout pour aller en finale. On a eu peur une seule fois dans ce tournoi, c’était contre la CEI. On se disait : ils sont intouchables, intouchables, et au fil des minutes on s’est aperçu que tout était possible. Il nous a juste manqué un peu de maturité qu’on est en train d’acquérir à chaque match.

Quoi qu’il arrive désormais, vous aurez fait un truc ?

Ah oui ! Totalement. Personne, je dis bien personne, n’aurait parié sur notre place en demi-finale. J’aimerais bien que tout ça serve à ce qu’on joue un peu plus au hand en France. On en a parfois un peu marre d’être dans l’ombre au niveau des médias alors qu’on travaille autant que les autres, et qu’on en a bavé dans les trois mois de préparation.

De l’un de nos envoyés spéciaux Gilles Smadja

Article paru dans l'Humanité édition du 3 août 1992.