mardi, décembre 01, 1998

Questions à Stoecklin

"Un type comme Ronaldo ne contrôle rien de sa vie"

Exilé au Japon, l’ex-chef de file des Barjos champions du monde a repris du service au sein de l’équipe de France qui vient de se qualifier pour le Mondial 99. A vingt-neuf ans, "Stoeck" entend bien continuer à apporter son expérience à la formation de Daniel Costantini jusqu’aux JO de 2000, voire au-delà.

Au départ, rien ne prédisposait Stéphane Stoecklin à être un jour sacré meilleur joueur du monde de handball. Né dans un bastion du rugby, Bourgoin-Jallieu, en 1969, celui qui devait devenir le meneur des Barjos pratique pourtant le hand dès l’école primaire. Tout petit, il voit son père faire des shoots dans les cages et, fort de ses dispositions, suit une filière classique, sport-études, club local, puis Chambéry, Montpellier, Nîmes, PSG, Minden, en Allemagne, et aujourd’hui Suzuka au Japon. En mai 1995, Stoecklin était du voyage à Reykjavik, où les Barjos de Daniel Costantini ont remporté le premier titre mondial d’une équipe de France. Entretien.

Après Atlanta, vous avez quitté la France pour l’Allemagne, qu’est-ce qui vous a décidé ?.

Ça m’a changé de la vie parisienne, car en Allemagne tout le monde vit pour le hand, Minden Ä où je suis resté deux ans Ä est une ville de 80.000 habitants, un gros village, comme on dit là-bas. J’ai quitté l’anonymat de Paris pour retrouver le vedettariat du champion du monde. Mais aussi mon salaire a été multiplié par deux : c’est vrai que c’est un choix plus guidé par l’aspect financier que sportif. Notre métier dure dix ans, et puis on ne gagne pas un million par mois comme au football. De plus, dans le championnat de France, on tourne en rond. Ce sont toujours les mêmes clubs qui se rencontrent, j’avais envie de changer. En Allemagne, le championnat est le top mondial parce que les meilleurs joueurs du monde y évoluent. C’est là qu’il y a le plus d’argent, de médias, de public. Les salles sont pleines, le jeu est beaucoup plus physique. En Allemagne, j’ai eu le titre de meilleur joueur du monde. En restant en France, je ne l’aurais pas eu.

Ce sont les mêmes raisons qui vous ont attiré au Japon ?

Au Japon, le calendrier est moins chargé qu’en Allemagne. Si nécessaire, je ferai le sacrifice d’y rester pendant trois ans pour assurer mon avenir, avec le club de Suzuka. Notre sponsor, la firme Honda, fête son 50e anniversaire et veut absolument gagner le championnat. Mon agent, qui est aussi celui de Frédéric Volle, a négocié un contrat qu’on ne pouvait pas refuser ( un salaire double de celui d’Allemagne ) surtout à mon âge. Mais sans Fred, qui est un super pote, je ne serais pas parti là-bas.

Vous ne regrettez pas la belle époque des Barjots ?

Quand nous sommes tous partis, après Atlanta, nous nous sentions un peu aigris. Après tout, on a apporté le plus gros du palmarès de l’équipe de France : médaille de bronze aux JO, champions du monde, vice-champions du monde. Nous formions une équipe très liée, on était une bande de copains. Aujourd’hui, ce n’est plus le même délire. L’entraîneur était beaucoup plus cool, on lui envoyait la sauce, on était plus fêtards. Les Barjots, ça existe toujours, on se rencontre, on évoque des souvenirs mais on peut passer des soirées entières ensemble sans parler de hand.

Et aujourd’hui, qu’est-ce qui a changé dans l’équipe de France ?

C’est un autre système de vie. A l’époque des Barjos, on se retrouvait à cinq ou six dans une chambre d’hôtel, à déconner. Maintenant tout le monde a sa chambre. Je m’entends bien avec les gars, mais je suis moins à l’aise. Il y a eu changement, nous sommes des pros, on doit s’adapter. Ce qu’on a vécu, le Mondial tout ça, est extraordinaire et difficile à retrouver.

Parlez-nous de vos relations avec Daniel Costantini. En quels termes êtes-vous avec lui ?

Tout a commencé en 1990, j’étais un petit nouveau. Je me souviens d’un truc : me trouvant dans l’ascenseur avec lui, j’étais incapable de prononcer un mot. Maintenant on se connaît bien, chacun sait comment fonctionne l’autre. Je lui lance des vannes mais avant, je ne me serais pas permis. Il nous fait confiance et il a eu raison, on ne lui a jamais fait défaut. Sauf peut-être à Atlanta, où il a pensé qu’il y avait eu des débordements et il a fait la grande lessive. Il sait que je n’irai jamais au-delà de la limite. C’est pas un mec casse-couilles. C’est, à ma connaissance, le seul entraîneur français dans un sport collectif qui soit resté aussi longtemps. Il a toujours fait l’unanimité, ses choix se sont révélés justes. Certains de mes potes se sont accrochés avec lui, mais avec moi, tout est rentré dans l’ordre.

Comment est l’ambiance dans le handball d’aujourd’hui ?

Cela reste très cool, c’est beaucoup plus sympa que dans le foot, par exemple. Il y a moins d’argent. Avec le fric, les gens sont moins abordables. Regardez, un type comme Ronaldo il ne contrôle rien de sa vie. Bien sûr, il gagne un paquet de pognon, mais il ne peut pas être heureux. Nous, on fait le plus beau métier du monde et on se fait plaisir. Alors, pourquoi se prendre la tête ? Nous ne sommes pas des grosses têtes, personne ne se prend le cigare.

Vous serez prêt pour le Mondial 99, au mois de mai en Egypte ? Après six mois d’absence, ce ne sera pas trop difficile de réintégrer l’équipe de France ?

L’équipe de France fonctionne très bien, je ne dirais pas qu’elle peut se passer de moi, quand même pas ! mais ça ne pose pas trop de problème. Tenez, tous ces départs de vedettes en Allemagne et ailleurs, ça a fait un sacré trou, mais ça a permis à des jeunes de sortir. Pour passer de l’étranger en équipe de France, cela ne pose pas de problèmes. On se retrouve un mois avant, pour se préparer. C’est suffisant et ça fait du bien de se retrouver au pays !

Comment voyez-vous votre fin de carrière ? Vous préparez-vous à vous reconvertir comme entraîneur ?

J’aimerais terminer ma carrière par les JO de Sydney, Daniel compte sur moi et j’espère tenir jusque-là. Avec mon copain Richardson, c’est notre ambition. Et, mais alors là on rêve, le Mondial 2001, en France, ça aurait de la gueule. Entraîneur ? Ah, non ! Pas du tout, j’aimerais faire un truc avec un copain. Monter une affaire avec des Barjots, ce n’est pas barjot !

Entretien réalisée par PIERRE MICHAUD pour L'humanité