lundi, mai 29, 1995

Barjots mais champions

En 1995, la France devenait championne du monde. Mais, comme souvent avec les «Barjots», rien n'était simple. Surgit alors Denis Lathoud, le plus barjot des « Barjots ».
Le «Grand» mit de l'ordre dans la maison, pour le plus grand bonheur du clan tricolore.



Cinq ans après, Denis Lathoud n'a rien oublié. De sa maison de Bressanone (Brixen comme Ils disent là-bas), petite ville du Sud Tyrol Italien où il a signé en début de saison, Denis le Grand se souvient. De tout et parfaitement. « Attendez, comment voulez-­vous oublier tout ca ? Un titre de champion du monde, ça marque, forcément... » Sans aucun doute. Mais s’il en est un, plus que les autres encore, que l'épopée islandaise a marqué, c'est bien ce Denis Lathoud là.

Retour en arrière. Trois ans après sa médaille de bronze olympique à Barcelone, deux ans après sa médaille d'argent aux Championnats du monde suédois, l'équipe de France débarque en Islande avec des idées et des rêves plein la tête. On est en mai 1995. La formation tricolore est au faite de son art. Du moins doit-elle l'être.


Composée de joueurs au talent reconnu ayant accumulé ce qui a de tout temps fait défaut aux équipes de France, l'expérience, elle a, c'est évident, tout pour réussir à l'occasion de ce Mondial. C'est d'ailleurs, pour beaucoup, le moment ou (peut-être) jamais...

Et pourtant. Vainqueur logique du Japon (33-20) puis de l'Algérie (23-21) en début de tournoi, la formation de Daniel Costantini va vite s'emmêler les pieds dans un tapis de problèmes n'ayant pas grand chose à voir avec ses capacités à rivaliser avec les meilleurs. Elle s'embourbe dans des querelles internes annonciatrices d'un lamentable gâchis. Résultat des courses : un pre­mier revers face à la Roumanie (23-22) de nature à en refroidir quelques-uns. Le succès remporté dans la foulée et dans la douleur face au Danemark (22-­21) assure aux Français l'essentiel (une qualification pour les quarts de fina­le), mais un nouveau revers devant l'Allemagne (23-22) va tout remettre en cause. Avenir incertain, ambiance délétère... L'équipe de France est au bord du gouffre. Et c'est alors que Denis Lathoud se décide à prendre certaines choses en main.

II y avait, dans cette équipe, un décalage entre certains et les autres », se «souvient-il. « Entre le noyau marseillais qui se pensait visiblement toujours à l'OM, et ceux qui ne pouvaient que graviter autour de ce noyau, pas s'y fondre. Bref, personne ne se faisait vraiment plaisir et nous commencions à avoir de plus en plus de mai à nous supporter. »

Au soir de la défaite face à l'Allemagne, l'arrière gauche du PSG-Asnières entre en scène. C'est que lui y croit encore dur comme fer. Lui qui se souvient avoir, 20 ans plus tôt, promis à sa grand-mère qu'il serait champion du monde. Lui qui avait, trois ans avant, annoncé dans le défunt quotidien « Le Sport », que le handball serait le premier sport collectif français champion du monde.

« Moi, j'étais venu en Islande pour monter sur la plus haute marche du podium, sachant que nous en avions les moyens. Et là, tout d'un coup, j'ai eu l'impression d'être le seul à vraiment y croire... »

Au soir de la deuxième défaite française, Denis Lathoud se retrouve ainsi au "Café Reykjavik », haut lieu de la vie nocturne Islandaise et quartier général des supporteurs et des journalistes français en compagnie de quelques joueurs.

A une table à l'écart, Denis sonde le terrain. II y a là Frédéric « Charly » Volle, Gregory « Greg » Anquetil, Johan Delattre, Laurent Munier et Guéric Kervadec. Premiers déballages. « On a pas mal discuté. Je leur ai dit que j'avais vu jouer les autres équipes, toutes celles qui étaient venues pour gagner quelque chose en Islande et que nous n'avions rien à leur envier. Alors que la plupart pensait que nous avions une chance d'être champions, moi j'étais persuadé que nous devions l'être. A condition de tout faire pour l'être, de cesser de se cacher derrière les autres, de ne rien assumer, de s'engueuler et de tricher. »

Message reçu, les « Marseillais » confortant Denis Lathoud dans son Intention de « faire quelque chose ». Appui inconditionnel, également, des supporteurs regroupés un peu plus loin et eux aussi déçus par la tournure prise par les événements.


Le lendemain matin, l'équipe de France s'envole pour Akureyri où elle doit affronter l'Espagne en huitième de fina­e. Au sortir de l'avion, le « Grand », Denis Lathoud donc, regroupe les joueurs, et uniquement les joueurs, dans une chambre d'hôtel. Pour leur parler d'entraide, de cohésion, d'humilité mais aussi d'ambition.

Bref, c'est entre hommes et les yeux dans les yeux que les Tricolores lavent leur linge sale, chacun y allant de ses suggestions ou de ses critiques.

« II fallait un électro-choc. Si le groupe n'avait pas été fort mentalement et psychologiquement, cette réunion aurait pu tout faire péter. II s'est, heureusement, montré fort... »

On ne saura jamais très exactement ce qui s'est dit, ce mardi 16 mai 1995, dans un coin perdu du Nord de l'Islande. Toujours est-il que c'est une équipe de France métamorphosée qui, quelques heures plus tard, fait son entrée dans l'Iprottaholin d'Akureyri. Un groupe méconnaissable parce qu'enfin soudé. Douze joueurs qui ne font plus qu'un durant la Marseillaise ( « ce bras-dessus, bras-dessous s'est fait naturellement, rien n'était prévu» ) avant de manger tout crus des Espagnols jusqu'alors invaincus et bien décidés à prendre leur revanche sur des français qui les avaient humiliés sur leur sol, aux Jeux de Barcelone, en 1992.

A partir de ce moment, autant la France avait galéré durant la première semaine, autant « tout sembla facile. L'Espagne d'abord (23-20), la Suisse ensuite au terme d'un non match (28-18), l'Allemagne un peu plus diffi­cilement (22-20) puis la Croatie sans trembler (23-19) » font les frais d'une formation tricolore aux vertus retrou­vées. Une équipe composée de seize bonshommes aussi concernés les uns que les autres, qu'ils soient sur la feuille, titulaires ou remplaçants. Seize dont un, Denis Lathoud, le révolté de Reykjavik, à la fois leader, buteur et passeur. Le plus barjot des « Barjots » en salive encore, cinq ans plus tard. Sans doute tout aussi heureux du titre que de la réaction d'un groupe qui sut trouver, dans l'adversité, les vertus Indispensables pour se transcender. Un groupe qui doit, c'est l'évidence, une fière chandelle à son grognard. Car, s'il serait faux de dire que c'est parce qu'il y a eu Denis Lathoud que la France est devenue championne du monde, il est, en revanche, certain que s'il n'y avait pas eu Denis Lathoud, la France ne serait pas devenue championne du monde...

mercredi, mai 24, 1995

Résultats détaillés

Les résultats de tous les matchs de ce championnat du monde 1995 en Islande : le parcours de bleus à travers leurs scores.

Poule de qualification. France-Japon, 33-20 ; France-Algérie, 23-21 ; France-Roumanie, 22-23 ; France-Danemark, 22-21 ; France-Allemagne, 22-23.


France-Danemark

Huitièmes de finale. France-Espagne, 23-20.

Quarts de finale. France-Suisse, 28-18.

Demi-finale. France-Allemagne, 22-20.

Finale. France-Croatie, 23-19.


France-Croatie

mardi, mai 23, 1995

Une vraie leçon de bonheur

Les barjots sont de retour en France, leur médaille d'or autour du cou... la fête continue !

Dix ans de montée en puissance

1985. Daniel Costantini est nommé entraîneur de l'équipe de France, qui vient de descendre dans le groupe C.

1986. Championne du monde du groupe C, au Portugal, la France remonte dans le groupe B.

1989. Aux championnats du monde à Paris, la France se qualifie pour le groupe A. 1990. Neuvième du championnat du monde A, en Tchécoslovaquie, la France se qualifie pour les Jeux olympiques de Barcelone.

1992. Médaille de bronze aux Jeux olympiques.

1993. Vice-championne du monde à Stockholm, derrière la Russie.

1994. Sixième aux championnats d'Europe et médaille d'or aux Goodwill Games, à Saint-Pétersbourg.

1995. Championne du monde


Une victoire collective



Après s'être assuré d'entrée un avantage initial de trois buts grâce à de rapides contre-attaques et à un penalty, les Français n'ont guère été inquiétés tout au long de la finale. Les attaquants croates se sont heurtés à une défense redoutablement organisée autour de Pascal Mahé et de Jackson Richardson, véritable poison annihilant la plupart des combinaisons adverses. L'âpreté de la défense française peut se mesurer au nombre des expulsions temporaires (quatre) sifflées contre les Bleus et au faible score des Croates à la mi-temps (six buts seulement). En attaque, le bras gauche de Stéphane Stoecklin (sept buts) fit beaucoup de dégâts. Mais c'est la richesse collective qui assura le succès : ainsi le manque d'efficacité de Guéric Kervadec, échouant à plusieurs reprises sur l'excellent gardien croate Matosevic, fut compensé par l'entrée de Gaël Monthurel, qui réussit ses trois premiers tirs. Et lorsque le gardien français Yohann Delattre commença à perdre son influx, Bruno Martini le remplaça avec brio.

Un handball français en or

Grâce à son style de jeu spectaculaire, sa vitesse d'exécution en contre-attaque et son agressivité en défense, Jackson Richardson, le joueur réunionnais de l'OM-Vitrolles, a été désigné meilleur joueur du championnat du monde de handball. Mais le succès de l'équipe de France, qui est la première à obtenir un titre mondial dans un sport collectif, revient bien sûr à la richesse de son effectif. Aux côtés de Richardson et des autres « pionniers », médaillés de bronze aux Jeux olympiques de Barcelone, plusieurs jeunes se sont révélés au cours de l'épreuve, et se sont intégrés au fil des rencontres dans ce groupe exceptionnel composé de personnalités bien trempées. Peu inspirés dans la phase préliminaire du Mondial, les joueurs français ont brusquement retrouvé, en huitième de finale, le génie qui les rend imprévisibles et irrésistibles. Daniel Costantini, entraîneur de l'équipe depuis dix ans, rêve désormais pour ce sport, toujours boudé par les médias et les mécènes, de la médaille d'or aux Jeux 1996 d'Atlanta.

L'équipe championne du monde

  • Yohann Delattre
  • Bruno Martini
  • Christian Gaudin
  • Gregory Anquetil
  • Patrick Cazal
  • Philippe Gardent
  • Guéric Kervadec
  • Denis Lathoud
  • Pascal Mahe
  • Gaël Monthurel
  • Laurent Munier
  • Thierry Perreux
  • Eric Quintin
  • Jackson Richardson
  • Stéphane Stoecklin
  • Frédéric Volle

lundi, mai 22, 1995

France : une équipe en or

Quand Daniel Costantini récupère l'équipe de France en 1985, elle venait d'être rétrogradée dans le Mondial C. Dès l'année suivante, elle remonta et, progressivement, se hissa dans la hiérarchie. Dixième du Mondial 1990, elle obtint le bronze olympique en 1992 à Barcelone et l'argent l'année suivante au Mondial de Suède. Et, hier en fin de journée, devant plus de 4 000 spectateurs sur le parquet de Laugardaksholl de Reykjavik, elle a battu la Croatie en finale du Mondial et offert à la France son premier titre mondial dans un sport collectif.

Grâce d'abord à de longs stages, notamment avant Barcelone, sous la direction de Daniel Costantini, le sept tricolore devint une équipe de niveau mondial, avant de franchir un nouvel échelon grâce à l'arrivée de jeunes joueurs de grand talent. Pourtant, le travail en commun devenait moins fréquent, les clubs renâclant à libérer les Internationaux. Aussi, souvent décevants dans les matches amicaux ou lors de ce premier tour de ce Mondial, les Tricolores donnèrent bien des inquiétudes à leurs supporters.

Mais, à partir des huitièmes de finale, une extraordinaire motivation et un formidable esprit d'équipe les ont habités et ont permis de compenser leur handicap habituel, le manque de finition au tir. Et surtout, ils ont trouvé depuis ce huitième de finale contre l'Espagne une défense que même Costantini n'est pas capable d'expliquer, car elle n'a absolument pas été travaillée lors des stages. Et, second bonheur inespéré, les gardiens se sont réveillés, permettant ainsi à la France de se parer d'or, alors qu'avant le Mondial, elle n'était pas sûre d'obtenir sa qualification pour Atlanta, c'est à dire finir parmi les sept premiers ! "Indéniablement, remarque Costantini, c'est la victoire des joueurs, pas la mienne."

Face à la Croatie, vainqueur précédemment de la Russie et de la Suède, les Tricolores ne parurent jamais en danger. Bien entrés dans le match grâce aux contre-attaques, les nouveaux champions comptèrent ensuite comme argument offensif principal l'arrière droit Stoecklin, qui bénéficia de la fixation des Croates sur le pivot Kervadec. La chance de la France fut sa richesse, car quand Delattre cessa d'être efficace, Martini entra en cage et fit des arrêts décisifs. Et puis Monthurel qui remplaça Kervadec sur la fin transforma aussitôt ses trois tirs.

Ainsi, même avec Volle et Lathoud sans réussite (le gardien Matosevic fut le seul Croate à gêner les Tricolores), la France ne trembla jamais, forte de sa formidable défense.

Après les hymnes, que les Tricolores écoutèrent en se tenant par les épaules et les hanches, comme ils le font depuis les huitièmes de finale, les événements s'enchaînèrent à merveille. Les Français descendirent d'entrée en 5-1, avec Anquetil, Kervadec, Volle, Quintin et Richardson devant, Mahé laissant sa place à Stoecklin en attaque. Ce fut très efficace, Richardson gênant la circulation de balle adverse (2-0, 3e).

Face à l'habituelle zone 3-2-1 des Croates, les Français firent entrer Richardson en deuxième pivot et se détachèrent malgré un déchet dans les tirs (4-1, 7e). A la 10e minute, Lathoud remplaça Richardson en attaque; encore un choix systématique depuis les huitièmes de finale.

Devant l'échec de l'arrière droit Saracevic, qui cherchait à tirer seul alors qu'il était muselé par Richardson (1-5, 12e), l'entraîneur croate le sortit afin d'obtenir un jeu plus collectif. Il remplaça également son autre tireur, Puc, cherchant vainement la bonne formule face à la défense française. Et seuls les échecs au tir empêchèrent les Tricolores de se détacher plus nettement (8-3, 20e; 8-5, 22e). Les Croates décidèrent de passer en 4-2, incitant les Français à écarter l'attaque où Richardson avait retrouvé sa place. Mais ils semblaient toujours voués à l'échec (6-11, 29e). A la reprise, ils optèrent pour une 5-1 avec Cavar avancé. Et grâce à son talent, Smajlagic tenta de relancer ses compatriotes (8-11, 34e). Mais ne jouant pas collectivement, la Croatie ne profita guère de l'exclusion de Munier (9-12, 38e).

Echouant dans ce secteur central, les Croates cherchèrent les ailes mais parurent déjà résignés, se repliant sans conviction lors des contre-attaques adverses (10-16, 44e). Depuis le début de la seconde mi-temps, Munier était entré à la place de Stoecklin afin de donner davantage de tonus à l'attaque. Le match n'en était plus un, les Croates tirant précipitamment, ne trouvant toujours pas de solutions.

Et même la sortie (uniquement en attaque) de Kervadec, légèrement boitillant, ne pénalisa pas la France, puisque Monthurel marqua immédiatement (20-14, 53e). L'exploit était là et bien là. La France avait enfin une équipe en or.

D'un de nos envoyés spéciaux à Reykjavik André-Arnaud FOURNY

L’Équipe 22 mai 1995

L'or a pleines mains

Pour la première fois une équipe nationale est sacrée championne du monde dans un sport collectif, quelle belle leçon de vie et de handball, chapeau messieurs les barjots.

jeudi, mai 18, 1995

Le café Reykjavik


C'est dans ce lieu désormais mythique que les barjots avaient élu domicile pour "préparer" les matchs lors du mondial 1995 en Islande, n'hésitez pas à pousser la porte pour revivre l'épopée des premiers champions du monde ...


La bête noire des Espagnols

De quoi en devenir fou. Face à l'équipe de France, l'Espagne a perdu les trois matches-clés des derniers rendez-vous mondiaux. En 1992, aux Jeux olympiques de Barcelone, les Bleus, futurs médaillés de bronze, créèrent une immense surprise face aux maîtres des lieux qui pensaient que la rencontre serait une formalité. Les Espagnols outragés tentèrent de prendre leur revanche aux championnats du monde, à Stockholm. Ils furent défaits lors des matches de qualification, incapables de lire le handball débridé des Français. Battus et furieux, mardi, ils ont provoqué un pugilat général à vingt secondes de la fin. Pour décrocher la dernière place dévolue aux Européens pour les Jeux olympiques d'Atlanta, les Espagnols doivent être les meilleurs non-qualifiés aux championnats d'Europe qui se disputent chez eux, en juin 1996. A moins que la France ne vienne, une fois de plus, ternir leurs espoirs.