mercredi, octobre 06, 1999

Rudy la science

Formateur né, Rudy Bertsch a façonné les frères Gille et Stéphane Stoecklin. Rencontre.

"Avec les mains, on prend tout de suite du plaisir." L’agréable sensation de tirer, le contact du cuir et la mise en bonne position de ses partenaires sont parmi les choses que Rudy Bertsch affectionne le plus au monde. Sous ses apparences de touriste français venu chercher le dépaysement au pays des pyramides se cache en réalité un éleveur de champions. Sorte de Guy Roux alsacien, ce supporter de l’équipe tricolore peut, en effet, se sentir concerné par les performances des Bleus. Stoecklin, Burdet, les frères Gille : c’est lui.

Aujourd’hui, entraîneur d’un petit club suisse, Le Chenois, pour arrondir ses fins de mois, Rudy la science continue à cinquante-sept ans, de dispenser son savoir dans la section sport-études de Chambéry pour le bien-être du handball hexagonal. "C’est un travailleur de l’ombre, un formateur jusqu’au bout des ongles", dit de lui Guillaume Gille, l’étoile montante du handball français. Professeur d’éducation physique à la base, Rudy Bertsch est également un homme de terrain. De 1966 à 1974, il endosse le maillot d’entraîneur-joueur à l’ASPTT Nancy qu’il emmène de l’amateurisme (Excellence) en N2. Après un bref passage au SLUC de Nancy, qu’il fait monter en N1, il prend sa retraite et devient à trente-six ans conseiller technique régional. Mais ce qui le passionne avant tout, c’est l’enseignement et... la pêche à la mouche. En 1982, il demande sa mutation au sport-études de Chambéry. Deux ans plus tard, il prend en main les destinées du club local et l’amène en quatre ans d’Excellence en National 1B. "En partant pour la Savoie, je pensais que j’allais pêcher jour et nuit", précise-t-il sérieusement. Mais son amour du handball et son perfectionnisme légendaire prennent rapidement le dessus.

"Dans ma période d’entraîneur, j’étais frustré de ne pas pouvoir rendre mes idées adaptables. Là, j’avais des jeunes qui débutaient. J’allais pouvoir les "construire". Et des idées, Rudy Bertsch, en a plein ses filets. "Tout se passe au niveau de perception. Le joueur doit être capable de voir ses adversaires, le ballon et le but en même temps." Peu à peu le sorcier alsacien impose sa vision nouvelle du handball. "La motricité et le physique n’étaient pas assez travaillés. Or, selon moi, un joueur doit avoir une grosse amplitude défensive et une puissance d’attaque importante. J’avais dans la tête le joueur de l’an 2000."

"Au début, je me demandais : "C’est qui ce gueulard ?", se souvient Guillaume Gille. Rudy est très exigeant, rigoureux, mais c’est un type attachant." Mais c’est avec Stéphane Stoecklin que le lien est le plus fort. "Pendant les premiers mois, je ne me suis pas rendu compte du potentiel de Stéphane. Il faut dire qu’il avait du mal à accepter les gestes du handball", explique Rudy Bertsch. Car un de ses chevaux de bataille reste l’utilisation du jeu articulaire. "On va au-delà de ce que le bras peut faire naturellement. Il doit y avoir une indépendance segmentaire, c’est-à-dire que les bras fonctionnent presque de manière autonome. C’est un mélange de force et de souplesse qui permet d’avoir des trajectoires puissantes et variées."

Aujourd’hui Stéphane Stoecklin se rappelle avec un brin de nostalgie ce prof pas comme les autres. "Ce type a le cancer du hand. Quand il croit en quelqu’un il le pousse, l’engueule... C’est un peu mon mentor. Si je suis là c’est grâce à lui." Et Rudy Bertsch ne l’a pas lâché d’une semelle. "Le défaut de Stéphane, contrairement à Guillaume Gille, c’est qu’il est fainéant. Il esquive le travail physique." Et de rajouter : "La génération d’aujourd’hui est plus pro. Quand Burdet est entré en sport-études, il m’a dit : "Je veux être international." Stoecklin, lui, n’en avait rien à foutre."

Toujours à Chambéry alors que son poulain est actuellement au Japon, Rudy Bertsch s’étonne encore du parcours de Stéphane Stoecklin. "Personne ne pouvait penser qu’il irait aussi loin. On ne pouvait pas imaginer que des joueurs français atteindraient un tel niveau." Cependant, il ne se gêne pas pour mettre en exergue les défauts de Stéphane. "Il est trop impatient, il aime trop marquer, il ne se met pas toujours dans les meilleures positions de tir." Se ravisant ensuite. "Je ne prétends pas lui avoir tout appris. Je l'ai mis en piste. Dans la vie on n’arrête jamais de progresser."