samedi, février 03, 2001

Y a-t-il du Dionysos en eux ?

En 1996, au retour des Jeux olympiques d'Atlanta, je me souviens avoir qualifié notre équipe, battue en demi-finales (piteusement), de « bande de sybarites ». Le comportement du groupe, la veille encore champion du monde, avait inexorablement dégénéré. Les « Barjots » préféraient les « délices de Capoue » à la rigueur indispensable à la performance, étaient devenus des victimes consentantes promises à des Croates affamés de revanche. Qu'en est-il d'eux quelque cinq années plus tard ? Y a-t-il dans l'équipe une once de barbarie, une pincée d'anticonformisme, un brin d'ascétisme qui font les grands conquérants ? Notre école est anti-conventionnelle, hors de la cité. Est-elle capable de nous fournir les arguments pour renverser l'ordre établi aux accents, toujours, gutturaux ?

Le handball français est franchement métèque... Il ne maîtrise pas toujours les canons ancestraux, il ignore le nombre d'or de la spécialité. Ses adeptes ne sont pas, totalement et systématiquement, guerriers. Leurs chants ne sont jamais les mêmes et leurs coutumes changent. Ils excellent dans l'art de surprendre. D'ailleurs, il leur arrive de s'étonner d'eux-mêmes. Ils se voudraient séduisants mais se complaisent parfois à plaire pour le plaisir.

Ils n'ont ni la froide suffisance des Suédois, ni la rigueur des Germains, ni la mâle assurance des Ibères, ni la créative sensibilité des Slaves. Ils sont souvent inconvenants, ne comprenant pas toujours le langage en vigueur. On les imagine parfois irréguliers, mais connaissent-ils la « Loi » ? Au bout du compte, il me plairait de les savoir quelque peu dionysiaques : nomades invétérés, iconoclastes à l'odeur parfois forte, susceptibles, en permanence, de mettre en émotion, d'attirer sans vergogne.

S'ils sont tels que cela, ils peuvent investir des territoires qui nous furent longtemps interdits. Ils peuvent envisager de se faire accepter par d'autres cultures dans les yeux desquelles ils auront pu lire, successivement, de l'incrédulité, de la crainte et, enfin, du respect.

Daniel Costantini. - Le Monde, édition du 3 février 2001