jeudi, février 08, 2001

Costantini à plus d'un titre

Sous son commandement, la France a volé de succès en triomphe. Retour sur une méthode dépourvue de sentiments... apparents

Nul ne peut se vanter d'un échec si parfait, d'un fiasco aussi joyeux. Daniel Costantini, dit « Aldo » par ses joueurs, va remâcher longtemps les conditions de son naufrage personnel. Car le Marseillais s'était intimement fixé une mission : abandonner aux joueurs ce qui leur revient de droit totalement, les lauriers de la victoire, la joie du couronnement sous les vivats de la foule. Il y a bien longtemps en effet que cet ancien joueur fidèle à sa Phocée avait dans sa tête tout retourné et fini par distiller sa pensée. Selon sa doctrine, le rôle de l'entraîneur est celui d'un éducateur, d'un simple accoucheur. A l'écouter, le nom de l'entraîneur n'a même pas à figurer sur la feuille de match et lui s'interdisait de pénétrer sur les parquets lustrés pour crier, hurler et faire la chenille avec les joueurs pour fêter les victoires. Or, si l'on pourra s'interroger sur la part d'Aimé Jacquet dans le triomphe des footballeurs tricolores en 1998 contre le Brésil, celle de Daniel Costantini est essentielle dans la victoire de ses handballeurs. Personne ne peut nier que ce type pas toujours facile à vivre a hissé son équipe du 19e rang mondial, son classement en 1985, à deux titres de champion du monde et une série d'accessits. « Je ne donne jamais rien de moi, jamais », et pour le prouver ne s'est jamais privé de pourrir l'un ou l'autre dans le vestiaire, de le briser en deux à la mi-temps pour voir si la bête respire. « Il n'a pas besoin d'être aimé pour exister dans sa vie professionnelle », confie un ami. Mais la ficelle est trop grosse. « Il veut bien nous laisser croire qu'on est libres », avoue l'un des vainqueurs de 1995, les fameux Barjots, dont Daniel Costantini conserve un souvenir mitigé. Sa compagne, Joëlle Marteau, souscrit volontiers à ce détachement de façade : « Oh là oui ! Sans s'imposer de manière cinglante, il donne les moyens d'évoluer, sans rien obliger, tout en sachant la direction dans laquelle il veut nous mener. C'est un vrai stratège. » Costantini, l'athée, confesse à demi-mot ce machiavélisme. Certes les jours de match il laisse parler les joueurs entre eux, mais pas n'importe lesquels, et connaît le contenu de leurs conversations : « J'entends d'ici le discours mobilisateur de Martini, je sais que Richardson parvient à toucher ses partenaires, que Golic et Puiségur insistent sur la technique et la stratégie. » Voilà pourquoi ce père de deux enfants est un maître tacticien dans l'art de former un commando, sachant depuis belle lurette que les meilleures individualités ne composent pas nécessairement la meilleure équipe. Et pourtant lui-même s'y est fait piéger par deux fois, lors des deux derniers tournois olympiques, à Atlanta et à Sydney. « J'ai trop tenu compte du savoir-faire individuel, accordé trop d'importance aux images d'Epinal et trop négligé un aspect fondamental : la manière dont ils allaient vivre ensemble. » A Sydney, il a assumé toutes les erreurs, seul, ayant trop revendiqué les pleins pouvoirs pour pleurnicher. « Sa principale qualité est de reconnaître ses erreurs, d'y penser sans cesse et d'être réactif », confirme sa compagne. Il devra donc encore corriger cette dernière bourde qu'il a laissée filer dans l'euphorie du titre, lorsque les joueurs ont revêtu un tee-shirt où était imprimé d'un côté « Tu sais ce qu'on dit dans ton dos » et de l'autre « On t'aime Aldo » : un sentiment ! Diable, il était vraiment temps de partir.

Christophe Bouchet. - Le Nouvel Observateur, n° 1892, 8 février 2001